Jésus est le Messie annoncé
Extrait de la Cité Mystique de Dieu de la Vén. Marie de Agreda.
Source : Croset 1857, t. 4, pp. 3-10.
Trois jours après, la très-pure Marie et Joseph trouvèrent l’Enfant Jésus dans le Temple proposant des questions aux docteurs.
760 - Après qu’il se fut occupé à ces oeuvres, et à plusieurs autres selon la volonté du Père éternel, il alla au Temple. Et au jour que l’évangéliste saint Luc indique, les rabbins, qui étaient les docteurs de la loi, s’assemblèrent en un lieu où ils discutaient quelques doutes et quelques passages des Écritures. Dans cette occasion on y disputait sur la venue du Messie ; car les nouveautés et les merveilles qui avaient suivi la naissance de saint Jean et la venue des rois mages, avaient beaucoup accrédité parmi les Juifs l’opinion que les temps étaient accomplis, et que, bien qu’il fût inconnu, le Messie devait déjà être au monde.
Ils étaient tous assis en leurs places, avec cette autorité qui distingue d’ordinaire ceux qui passent pour savants. L’Enfant Jésus s’approcha de l’assemblée de ces docteurs ; et Celui qui était le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, la Sagesse infinie; Celui qui redresse les sages, se présenta devant les savants du monde comme un humble disciple, faisant connaître qu’il ne venait que pour ouïr la dispute, et s’informer du sujet qu’on y proposait. Il s’agissait de savoir si le Messie promis était venu, ou si le temps de son avénement au monde était arrivé.
761 - Les opinions des docteurs étaient fort opposées sur cet article ; les uns assuraient la chose, et les autres la niaient. Et ceux qui tenaient la négative alléguaient quelques témoignages des Écritures, et des prophéties entendues avec la grossièreté que l’Apôtre remarque; car la lettre tue, si elle est prise sans l’esprit. Or ces sages à leurs propres yeux avançaient que le Messie devait venir avec une majesté et une grandeur de roi, pour donner la liberté à son peuple par la grandeur de sa puissance, et le délivrer temporellement de la servitude des gentils; et l’on ne voyait alors aucune apparence de cette puissance et de cette liberté, dans l’impossibilité où les Hébreux étaient de secouer le joug des Romains.
Ce sentiment eut beaucoup de vogue parmi ce peuple grossier et aveugle; parce qu’il ne prenait que pour lui seul la Majesté et la grandeur du Messie promis, aussi bien que la rédemption qu’il venait par son pouvoir divin accorder à son peuple, s’imaginant qu’elle devait être temporelle et terrestre, comme l’attendent toujours les Juifs aveuglés par les ténèbres qui remplissent leurs coeurs.
Aujourd’hui même ils ne parviennent pas à comprendre que la gloire, la majesté et la puissance de notre Rédempteur, aussi bien que la liberté qu’il est venu donner au monde, ne sont point des choses terrestres, temporelles et périssables, mais célestes, spirituelles et éternelles; et qu’elles ne sont pas seulement pour les Juifs, quoiqu’ils en aient eu les prémices, mais pour tout le genre humain sans aucune exception.
762 - Le Maître de la vérité, Jésus, reconnut que la dispute se terminait à cette erreur; car quoiqu’il y en eût quelques-uns qui soutinssent l’opinion contraire, le nombre en était fort petit; et ceux-là se trouvaient accablés par l’autorité et par les raisons des autres. Et comme cet adorable Seigneur était venu au monde pour rendre témoignage à la vérité, qui était lui-mèême, il ne voulut pas permettre dans cette occasion, en laquelle il importait extrêmement de la découvrir, que l’erreur contraire prévalût par l’autorité des docteurs. Sa charité immense ne put point supporter cette ignorance de ses oeuvres, et de ses fins très-sublimes chez les interprètes de la loi, qui devaient être des ministres versés dans la véritable doctrine, pour enseigner au peuple le chemin de la vie, et lui en faire connaître l’auteur aussi bien que notre Rédempteur.
L’Enfant-Dieu s’approcha davantage de l’assemblée, pour manifester la grâce qui était répandue sur ses lèvres. II s’avança au milieu des interlocuteurs avec une rare majesté et avec une beauté admirable, exprimant le désir de proposer quelque doute. Et par ses manières nobles et agréables il inspira à ces docteurs l’envie de l’écouter avec attention.
763 - 1l prit la parole en ces termes : “J’ai entendu toute la discussion qui a eu lieu sur la venue du Messie, et les conclusions qui en ont été tirées. Avant de proposer mes objections contre cette solution, j’établis que les prophètes disent qu’il viendra avec une grande puissance et une grande majesté, comme on vient de le prouver par les témoignages qu’on a allégués. En effet, Isaïe dit qu’il sera notre Législateur, notre Roi, et Celui qui sauvera son peuple; et dans un autre endroit il assure qu’il accourra de loin avec une grande fureur, ce que David confirme en disant qu’il consumera tous ses ennemis. Daniel déclare que toutes les tribus et tous les peuples le serviront. L’Ecclésiastique dit qu’une grande multitude de saints viendra avec lui. Les Écritures sont remplies de semblables promesses, pour faire reconnaître son avénement à des signes assez clairs, assez évidents, si on les considère avec attention.
Mais le doute est fondé sur la comparaison de ces passages avec d’autres passages des prophètes qui doivent être tous également vrais, bien qu’à la lettre ils paraissent contradictoires. Ainsi il faut nécessairement qu’ils s’accordent, et donner à chacun de ces passages un sens par lequel il puisse et doive se concilier avec les autres.
Or comment entendrons-nous maintenant ce que dit le même Isaïe, qu’il viendra de la terre des vivants, et qui est-ce qui racontera sa génération ? qu’il sera rassasié d’opprobres, qu’il sera mené à la mort comme une brebis qu’on va égorger, et qu’il n’ouvrira point la bouche ? Jérémie assure que les ennemis du Messie se réuniront pour le persécuter, pour mettre du poison dans son pain, et pour effacer son nom de la terre, quoiqu’ils ne doivent point réussir dans leur dessein. David a dit qu’il serait le rebut du peuple et l’opprobre des hommes, et qu’il serait foulé aux pieds et méprisé comme un ver de terre. Zacharie, qu’il viendrait doux et humble, et monté sur un vil animal. Tous les prophètes tiennent le même langage en parlant des marques que le Messie promis doit avoir.”
764 - “Comment sera-t-il donc possible, ajouta l’Enfant-Dieu, d’accorder ces prophéties, si nous supposons que le Messie doive venir avec de puissantes armées et avec majesté, pour vaincre les rois et les monarques par la force et par l’effusion du sang des étrangers ? Nous ne pouvons pas nier que, devant venir deux fois, la première pour racheter le monde, et l’autre pour le juger, les prophéties ne doivent être appliquées à ces deux avénements, en attribuant à chacun ce qui lui appartient. Et comme les fins de ces mêmes avénements doivent être différentes, leurs circonstances le seront aussi, puisqu’il ne doit pas remplir le même office dans les deux cas, mais qu’au contraire les choses y seront fort opposées.
Dans le premier il doit vaincre le démon et lui arracher l’empire qu’il a acquis sur les âmes par le premier péché. Et pour cela il doit d’abord satisfaire à Dieu pour tout le genre humain, et ensuite enseigner aux hommes par ses paroles et par ses exemples le chemin de la vie éternelle, les moyens de vaincre les ennemis de leur salut, comment ils doivent servir et adorer leur Créateur et Rédempteur, et de quelle manière ils sont obligés de répondre aux bienfaits qu’ils reçoivent de sa main libérale, et d’en faire un bon usage.
Sa vie et sa doctrine doivent concourir à toutes ces fins dans le premier avénement. Le second aura lieu pour faire rendre compte à tous les hommes dans le jugement universel, et pour donner à chacun le prix dû à ses oeuvres bonnes ou mauvaises; et alors il punira ses ennemis avec fureur et indignation ; c’est, ce que les prophètes disent du second avénement.”
765 - “D’après toutes ces observations, si nous voulons supposer que le Messie paraîtra pour la première fois avec puissance et majesté, et que, comme le dit David, il règnera de la mer jusqu’à la mer, et que son règne sera glorieux, comme le disent d’autres prophètes, tout cela ne peut être entendu matériellement d’un règne temporel ni d’un appareil de majesté sensible et extérieur, mais d’un nouveau règne spirituel qu’il établira dans une nouvelle Église qui s’étendra par tout l’univers avec majesté, avec puissanee et avec des richesses immenses de grâce et de vertu contre le démon.
Et avec cette juste interprétation, toutes les Écritures, qu’on ne saurait concilier dans un autre sens, se trouvent uniformes. Que si le peuple de Dieu est soumis à l’empire des Romains, sans pouvoir recouvrer son indépendance, ce n’est pas une marque que le Messie ne soit pas encore venu ; au contraire, c’est un témoignage infaillible qu’il est déjà au monde. Car notre patriarche Jacob a laissé cette marque afin que ses descendants le connussent, voyant la tribu de Juda sans le sceptre et sans le gouvernement d’Israël.
Or vous avouez maintenant que ni cette tribu ni les autres ne l’ont et n’espèrent même de le recouvrer. Les semaines de Daniel, qui doivent être nécessairement accomplies, prouvent la même chose. Et ceux qui ont de la mémoire se souviendront de ce que j’ai entendu dire, savoir, qu’une grande splendeur a paru il y a quelques années dans Bethléem à minuit, et qu’il fut dit à de pauvres pasteurs que le Rédempteur était né; et qu’ensuite certains rois guidés par une étoile vinrent de l’Orient, cherchant le Roi des Juifs pour l’adorer. Et le tout était ainsi prophétisé. De sorte que le roi Hérode, père d’Archélaüs, frappé de ces signes infaillibles, fit mourir un très-grand nombre d’enfants, seulement dans l’espoir d’atteindre le Roi qui venait de naître, et qu’il voulait empêcher de pouvoir succéder au royaume d’Israël.”
766 - L’Enfant Jésus joignit d’autres raisons à celles-là, et ce fut avec l’efficace de Celui qui, en proposant des doutes, enseignait avec un pouvoir divin. De sorte que les scribes et les docteurs qui l’entendirent restèrent dans le silence; et, convaincus par ses raisons, ils se regardaient les uns les autres, et se disaient avec une grande admiration : Quelle merveille est celle-ci ? Quel Enfant-si prodigieux ! D’où est-il sorti ? A qui appartient-il ? Mais demeurant dans cet étonnement, ils ne découvrirent point quel était Celui qui les instruisait avec tant de lumière d’une vérité si importante…